mercredi 6 août 2014

CV Anonyme : le Conseil d'Etat donne 6 mois au Gouvernement pour le rendre effectif.

Le Conseil d’Etat vient de donner raison aux parties  qui l’avaient saisi pour exiger du Premier ministre l’application de la loi sur le CV anonyme.

Il est étonnant de constater comment la question du CV anonyme fait partie de ces débats dont les Français raffolent, car il leur permet de s’affronter au nom de postures de façades, lors de joutes oratoires futiles desquelles les arguments rationnels ou factuels sont souvent exclus, les définitions rarement posées et les experts bien peu convoqués.

Il convient donc, avant de crier au « gouvernement des juges » ou à « l’aberration », de repartir du début.  Le CV anonyme est un CV dans lequel certaines informations (que devront préciser le décret d’application) sont absentes. Il peut s’agir du nom, du prénom, mais aussi de la photo, de l’adresse, voire de l’âge, et ceci afin d’éviter toute forme de discrimination à l’embauche.
Le Code pénal liste à cet effet 20 critères de discriminations, tels l’appartenance à une ethnie, à une religion, l’identité sexuelle, l’état de santé, les mœurs, les opinions politiques ou les activités syndicales.


Moins d'autocensure

Si les indications fournies par un candidat à l’embauche ne concernent évidemment pas tous ces champs, la pratique désormais systématique de recherche sur Google du nom des candidats permet souvent aux recruteurs d’avoir accès à un certain nombre d’informations qui, sans être compromettantes, n’ont pas forcément à être portées à la connaissance de l’employeur potentiel et peuvent constituer des motifs de discriminations (par exemple, l’annonce d’un mariage, pouvant laisser supposer des congés maternité à venir). Seul un effacement du nom permet réellement d’éviter ce genre de situations.
Concernant les discriminations sexistes ou xénophobes, revient souvent dans le débat hexagonal une étude de Pôle Emploi menée pendant une durée réduite sur un petit nombre d’entreprises volontaires, c’est-à-dire déjà prêtes à s’engager dans une démarche de diversité, et qui montrerait des effets contre-productifs du CV anonyme. D’autres mettent en avant les testings consistants à envoyer les mêmes CV avec des noms ou des photos différentes, pour aboutir à la conclusion inverse.
La réalité, c’est que les études sont contrastées, selon les secteurs, les catégories d’entreprises (la loi ne cible d’ailleurs que celles de plus de 50 salariés), les zones géographiques et les types de CV anonymes testés ; mais qu’au-delà des effets réels sur le recrutement, le simple signal envoyé par la mise en place d’un recrutement anonyme conduit les candidats généralement victimes de discriminations à ne plus s’auto-censurer en envoyant plus largement leur CV, et à s’investir davantage dans leur recherche d’emploi ou leur processus de formation.

Loi médiatique dans l'urgence

Face à un sujet d’ingénierie sociale aussi complexe, il aurait bien sûr fallu d’abord mener une large consultation publique avec les représentants d’employeurs, de salariés, les agents de Pôle emploi, les associations de DRH, etc, puis réaliser des expérimentations selon différentes modalités dans plusieurs départements avec des échantillons aléatoires sur une durée suffisamment longue, et enfin prévoir une clause de revoyure après quelques années d’application, quitte à abandonner, au final, l’idée. C’est ainsi que toute démocratie moderne aurait procédé.
Au lieu de cela, la France s’acharne, comme souvent, à faire exactement le contraire, en adoptant une loi médiatique dans l’urgence (ici, après les émeutes des banlieues en 2005) que la structure politico-administrative décide, dans le mépris le plus parfait - mais aussi le plus courant - de la Constitution, de ne pas appliquer en ne prenant pas de décret d’application, et ce, sans offrir de voie de contestation réelle puisque notre justice administrative déteste par-dessus tout les recours populaires.

Prochaine application

Puis, après plus de trois ans d’une procédure anormalement longue, le Conseil d’Etat dans sa grande sagesse décide d’exiger l’application quasi immédiate de cette mesure, dont l’exécution restera néanmoins suspendue au moindre amendement gouvernemental qui arrangerait tout aussi bien une droite qui l’a fait voter qu’une gauche qui refuse de l’appliquer. Voilà le résultat mortifère du consensus des conservateurs des deux camps, alors que le chômage bat des records et que le gouvernement est à court d’idées pour réformer le marché du travail.
En ce sens, le CV anonyme est donc autant le symptôme d’un malaise social que le stigmate d’une démocratie malade. Il aura fallu passer par la justice pour faire simplement appliquer la loi.

Les groupements d'employeurs vont donc devoir prochainement, si le gouvernement fait suite à l'injonction du Conseil d'Etat, comme tous les employeurs, d'adapter à cette nouvelle donne pour leurs futures recrutements

Pour lire l'arrêt du Conseil d'Etat, cliquez ici

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