lundi 17 novembre 2014

La Cour de Cassation statue à nouveau sur le décompte des emplois aidés dans les effectifs

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’étant pas d’effet direct entre particuliers, l’article L 1111-3 du Code du travail prévoyant l’exclusion de certains salariés du calcul des effectifs s’impose, bien qu’il soit contraire au droit communautaire.

Après avoir confirmé que l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, instituant un droit fondamental à l’information et à la consultation des travailleurs, et la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, ne peuvent pas être invoqués dans un litige entre particuliers, la Cour de cassation décide que les dispositions de l’actuel article L 1111-3 du Code du travail excluant du calcul des effectifs les apprentis et les titulaires de contrats de professionnalisation, d’accompagnement dans l’emploi et initiative-emploi continuent d’être applicables même si elles ne sont pas conformes au droit communautaire.

Cet arrêt constitue le dernier épisode en date d’une affaire ayant donné lieu à plusieurs rebondissements. Au sein d’une association regroupant moins d’une dizaine de salariés sous contrat de droit commun et plus d’une centaine sous contrats d’insertion, un syndicat avait procédé à la désignation d’un représentant de section syndicale, estimant que le seuil d’effectif de 50 salariés était atteint.
L’employeur, estimant le contraire, avait saisi le tribunal d’instance d’une demande d’annulation de la désignation. Celui-ci avait alors saisi la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les modalités de calcul des effectifs au regard de l’alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui prévoit la participation de tout travailleur à la détermination collective des conditions de travail. Le Conseil constitutionnel saisi de cette question avait estimé que ces règles n’étaient contraires à aucune disposition constitutionnelle (Cons. Const. 29 avril 2011 n° 2011-122 QPC).

Cependant, statuant à nouveau, le tribunal d’instance avait écarté l’application de l’article L 1111-3 du Code du travail comme n’étant pas conforme au droit communautaire. La Cour de cassation avait alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur le fait de savoir si l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la directive 2002/14/CE pouvaient être invoquées dans un litige entre particuliers et si l’article L 1111-3 du Code du travail était conforme à ces textes. Dans un arrêt du 15 janvier 2014, la CJUE avait répondu par la négative aux deux questions (CJUE 15 janvier 2014 aff. C-176/12, Association de médiation sociale c/ Union locale CGT).
L’affaire revenant une nouvelle fois devant le tribunal d’instance, celui-ci a jugé que l’article L 1111-3 du Code du travail n’étant pas conforme au droit communautaire qui détermine une protection minimale à laquelle les Etats membres ne peuvent déroger qu’en adoptant des mesures nationales plus favorables aux travailleurs, le calcul des effectifs devait se faire en tenant compte de tous les contrats de travail. Logiquement, la Cour de cassation, tirant les conséquences de la décision de la CJUE du 15 janvier 2014, casse ce jugement dans son arrêt du 9 juillet 2014.
En effet, selon la jurisprudence traditionnelle de la CJUE, les directives non transposées ou incorrectement transposées ne sont pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers, de telle sorte qu’un particulier ne peut pas en invoquer les dispositions contre un autre particulier (CJCE 26 février 1986 aff. 152/84, Marshall). En conséquence, les dispositions de l’article L 1111-3 du Code du travail doivent continuer à être appliquées.
Il reste que la mauvaise transposition d’une réglementation communautaire peut permettre, sous conditions, d’obtenir réparation de l’Etat du dommage subi (CJCE 19 novembre 1991 aff. 6/90 et 9/90, plén., Andréa Francovich c/ République italienne et Danila Bonifaci c/ République italienne).
Par ailleurs, la Commission européenne pourrait, de sa propre initiative ou sur saisine d’un particulier, exercer un recours en manquement contre l’Etat français devant la CJUE. Pour éviter les risques de sanctions, le législateur français doit mettre le Code du travail en conformité avec le droit communautaire et réintégrer les salariés exclus du décompte des effectifs dans le calcul.
Comme on peut le lire, le paradoxe est à son comble : le texte français est incontestablement non conforme au droit européen, qui devrait s’appliquer, mais ne peut pas s’appliquer en l’absence de texte de transposition des décisions européennes en droit français. De nombreux procès sont donc en perspective !

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