mardi 22 mai 2012

Les travailleurs équatoriens mis à disposition par deux sociétés de travail temporaire espagnoles sont devenus la principale concurrence des groupements d’employeurs agricoles

Extrait de rue89.com

D’un revers de la main, l’agricultrice désigne son champ. Sous les bâches en plastique noir, les asperges ont germé dans des buttes de terre. Aux premiers jours de mars, elles quittent leur cocon. Trois mois durant, le dos courbé au-dessus des sillons, des saisonniers ramassent ce « trésor des sables landais », comme le désigne Evelyne Margariti.
Parmi eux, des Français, venus en voisins, mais surtout des Equatoriens. Un renfort vital pour le département, premier producteur national. Depuis une dizaine d’années, les gens du coin boudent la saison des asperges. Certains tentent le coup, s’inscrivent, commencent la récolte et abandonnent deux jours plus tard, laissant les exploitants avec leurs asperges sur les bras, racontent plusieurs agriculteurs comme Evelyne Margariti à Ychoux : « A cause du manque de ramasseurs, des hectares entiers pourrissaient dans les champs. On s’est retrouvé à deux doigts d’arrêter la production. »



 Le messie de la saison des asperges 


 Et le messie est arrivé : Terra Fecundis. « Un vrai soulagement, pour tout le monde », souffle l’agricultrice. Créée en 2000, l’entreprise espagnole connaît un essor fulgurant. Son patron, Celedonio Perea, a même été sacré entrepreneur de l’année 2009 par la région de Murcie, où siège la société. Sa spécialité : le détachement de saisonniers étrangers. Pour l’essentiel, des Equatoriens sollicités pour ramasser les oranges de Grenade, les tomates de Sicile ou les asperges de Mont-de-Marsan. Une société d’intérim transnationale passée de 400 salariés fin 2007 à plus de 1 700 salariés. Simple comme un coup de fil Finies les petites annonces chez le boulanger du village ou les entretiens infructueux avec des chômeurs envoyés par Pôle emploi. Avec Terra Fecundis, le recrutement devient simple comme un coup de fil, constate Evelyne Margariti : « Nous leur précisons le nombre de personnes dont nous avons besoin. A la date voulue, les Equatoriens sont dans nos champs. » Pour elle, ce sera une première. D’ordinaire, l’agricultrice parvient à se bricoler une équipe de saisonniers avec son « noyau d’anciens » et une poignée de locaux plus ou moins fidèles. Pas cette année. A quelques semaines du début de la saison 2011, son effectif demeurait incomplet. Alors, ses collègues l’ont convaincue. L’exploitante assure : « Le plus possible, j’essaye d’embaucher des gens du coin, de garder une attitude citoyenne. Mais je ne suis pas assistante sociale, j’ai une entreprise à faire tourner. » Elle sait qu’elle n’aura pas à le regretter. Motivés, durs au mal, compétents, les Equatoriens font figure de saisonniers modèles : « Ils peuvent ramasser sept à huit heures d’asperges par jour. Un rythme que la main d’œuvre locale peine à tenir. » Selon l’Inspection du travail des Landes, le nombre d’agriculteurs du département ayant fait appel à Terra Fecundis aurait augmenté de 41% sur les deux dernières saisons. Pour s’octroyer les services de ces travailleurs assidus, les exploitants déboursent jusqu’à 16 euros de l’heure par saisonnier. Trois à quatre euros de plus que pour des Français, sans compter le transport et le logement des intérimaires laissés à la charge des agriculteurs. Un surcoût largement rentabilisé. « C’est le choix de la tranquillité », résume l’agricultrice. Pas de paperasse à gérer ni de contrat de travail à rédiger, la société espagnole s’occupe de tout. Surtout des salaires versés aux Equatoriens. Les exploitants eux-mêmes ignorent combien sont payés ceux qui arpentent leurs champs. Et l’opacité qui entoure l’emploi de ces Sud-Américains ne s’arrête pas à la rémunération.

 Un flou juridique 
 En 2003, dans les Bouches-du-Rhône, un inspecteur du travail contrôle un agriculteur qui dispose de douze saisonniers équatoriens. A l’époque, Terra Fecundis n’opère pas en tant qu’entreprise de travail temporaire mais sous le régime de la prestation de services. La nuance lui interdit de louer du personnel. La société se retrouve devant le tribunal de Marseille pour travail illégal. Peu avant la comparution, ses dirigeants se pressent de changer les statuts. Devenue boîte d’intérim, elle évite la condamnation. Interrogés sur la soudaineté de la manœuvre, Terra Fecundis invoque « une nécessaire adaptation aux exigences de nos clients agriculteurs. Un paysan trouve plus judicieux de payer pour du personnel embauché que pour une surface récoltée ». Une feinte classique, selon Béatrice Mesini, chercheuse au CNRS, qui enquête depuis 2006 sur l’activité de la société espagnole dans le Sud-Est de la France : « Ils jouent en permanence sur des conflits d’interprétation entre notre législation nationale et le droit communautaire. » Pour elle, les Equatoriens sont payés « autour de 7,50 euros de l’heure ». Moins, selon d’autres exploitants. Plus, selon Virginie Chrestia-Cabanne, inspectrice du travail dans les Landes : « Les saisonniers détachés par Terra Fecundis sont tous rémunérés au smic. Les contrôles n’ont révélé aucun manquement à la loi. Ce qui ne nous empêche pas de rester en veille permanente. Il s’agit d’une situation fragile. » Comprendre, à la frontière de la légalité. Comme le rappelle Béatrice Mesini : « Les exploitants sont libérés des contraintes qui pesaient sur leurs épaules avec les anciens contrats. Ils peuvent désormais licencier du jour au lendemain. » Même si le cas de figure ne se présente que rarement, les agriculteurs savent qu’ils disposent de cette facilité. « Si quelqu’un ne convient pas, vous téléphonez pour dire que vous n’en voulez plus », concède l’agricultrice Evelyne Margariti. « Le lendemain, on vous en envoie un autre. » Béatrice Mesini rapporte l’histoire de cet Equatorien employé pour la récolte des pommes dans les Bouches-du-Rhône qui s’est vu transféré, en pleine nuit, jusqu’à une ferme des Pyrénées. Dès l’aube, il s’attelait à sa nouvelle mission. L’inspectrice du travail assure : « Nous n’avons pas directement observé ce type de problème. Mais s’ils se produisaient, ces renvois instantanés présenteraient un caractère irrégulier. La rupture d’une mission d’intérim n’est possible qu’en cas de faute grave. » Des situations de dépendance Des fautes graves qui, avec les Equatoriens, ne risquent pas de se produire. La pression de l’entreprise et les situations de dépendance qu’elle instaure cultivent la docilité des intérimaires. Pendant la saison, un référent de Terra Fecundis sillonne la campagne landaise pour vérifier le bon déroulement de la récolte. Et son rôle ne se limite pas à de banales visites de courtoisie. Il est aussi la mère nourricière des Equatoriens. Au sens propre. En période de travail, les saisonniers n’ont pas accès à leurs ressources financières. Chaque semaine, l’homme leur distribue de l’argent de poche, en espèces, pour qu’ils puissent téléphoner à leur famille et s’acheter de quoi manger. Une infantilisation qui s’accompagne d’une sorte d’assignation à résidence. Perdus au milieu de nulle part, les intérimaires n’ont pas le droit de quitter, seuls, l’exploitation. D’ailleurs, la plupart du temps, ils n’en ont pas les moyens. Les paysans doivent leur fournir un toit, pas les véhiculer. A en croire les agriculteurs, les Equatoriens ne se plaignent pas. Pour l’instant. Certes, les conditions sont rudes, mais ils ne refuseraient pour rien au monde le travail que leur offre Terra Fecundis. S’ils ont traversé l’Atlantique, c’est pour gagner de l’argent. En Equateur, le salaire minimum ne dépasse pas 225 euros par mois et, en Espagne, la crise du bâtiment a dopé la concurrence entre les migrants. Sous les serres d’Andalousie, Marocains, Bulgares, Roumains et Nigérians se disputent le travail pour à peine plus de 3 euros de l’heure. Rien à voir avec le monopole des asperges landaises que leur offre Terra Fecundis. Ce qui leur pèse le plus, c’est d’être trimballés dans plusieurs pays. Béatrice Mesini constate : « Ils sont déboussolés. Avant, ils alimentaient des migrations pendulaires, du pays d’origine vers le pays d’accueil. Aujourd’hui, leurs identités de travail sont éclatées entre l’Equateur, l’Espagne et les pays où ils sont détachés. » Face à cette « triangulation » nuisible, les Sud-Américains préféreraient voir Quito et Paris s’entendre sur d’éventuels accords qui leur permettraient de sauter la case Terra Fecundis.

 « Des commissions sur tout et n’importe quoi »
 Ces émigrés n’envisagent pas leur futur en Europe. La vie, la vraie, les attend en Equateur, où ils rêvent d’une belle maison et d’un commerce prospère. Là encore, Terra Fecundis s’occupe de tout. L’embauche par l’entreprise s’accompagne de la réalisation d’un projet immobilier au pays. Au sein du groupe, les dirigeants ont créé Mitad del Mundo, une filiale bancaire qui supervise les chantiers en Equateur. Souhaitant intervenir également sur les transferts d’argent, ils ont signé en 2008 un partenariat avec Western Union pour « faciliter aux travailleurs l’envoi des salaires à leur famille ». Et comme il n’existe pas de services gratuits, Terra Fecundis retient 30% sur chaque transfert. Béatrice Mesini insiste : « Ce dont se plaignent le plus les salariés Equatoriens, c’est justement cette tendance de Terra Fecundis à prendre des commissions sur tout et n’importe quoi. » Solidement ancrée dans le paysage agricole européen, l’entreprise prend de l’ampleur et de la confiance. Pour la première fois cette année, à la manière d’une multinationale, elle offre à ses clients des voyages tous frais payés dans le Sud de l’Espagne. « Avec mon mari, nous sommes invités à venir voir les installations de la société », s’enthousiasme Geneviève Bagnères-Labaste, exploitante d’asperges dans le Sud des Landes. Avant d’attaquer la saison, ces quatre jours de repos dans un hôtel de Murcie sonnent comme une bénédiction. L’opération séduction fonctionne à fond. L’avenir s’annonce radieux pour Terra Fecundis. A tel point que d’autres l’imitent. Sa copie conforme – Safor Temporis – prend ses marques dans les Landes. Depuis quelques années, elle a séduit Maïsadour, la plus grosse coopérative d’asperges de la région. « En 2009, nous leur avions demandé une vingtaine de travailleurs et, l’an dernier, 70 », explique Jean-Pierre Lahillade, administrateur de Maïsadour. « Cette saison, nous attendons 150 Equatoriens. » Les deux sociétés peuvent voir venir : « Une fois que l’on a goûté à leur système, difficile de faire machine arrière. »

2 commentaires:

  1. difficile de rester de marbre à la lecture de cet article! je peine à croire que ces pratiques à première vue repréhensibles puissent prospérer sans inquiètude quand nous groupement de forme "légale" dans le fond et la forme sommes contrôlés et remis dans le droit chemin des règles à la moindre incartade. outre la désolation que cela m'inspire, je remets encore une fois sur la table le besoin en communication positive des GE par nos pouvoirs publics et politiques.

    RépondreSupprimer
  2. une nouvelle épisode d’exploitation massive des ressources naturelles des pays en voie de développement aprés la francafrique, la chinafrique , on voit ca en équateur

    RépondreSupprimer