mercredi 11 mai 2016

Alain Juppé : «Mon projet pour atteindre le plein-emploi»

Extrait des echos.fr du 9/05/2016


INTERVIEW - Le favori de la primaire à droite pour la présidentielle 2017 dévoile dans « Les Echos » son programme économique et social. Il cible la baisse des prélèvements sur les entreprises et promet des « déclics » sur l’emploi.

Alain Juppé dévoile son projet économique et social et livre son cadrage budgétaire, dans un entretien exclusif aux « Echos ». Le candidat à la primaire de la droite , dont l’objectif est d’atteindre le plein-emploi en 2022, envisage, s’il est élu en 2017, une baisse des prélèvements obligatoires de 28 milliards d’euros, ciblée en majeure partie sur les entreprises.


PEUT-ON VISER LE PLEIN-EMPLOI ?


C’est mon objectif sur cinq ans. C’est l’enjeu essentiel au plan économique, social et moral. Les deux premières économies européennes, l’Allemagne et le Royaume-Uni, y sont parvenues, pourquoi pas nous ? La France a jusqu’ici appliqué des politiques qui reposent sur des principes erronés, le partage du travail - et la CGT parle déjà des 32 heures ! - et les emplois aidés. Il faut changer de logique et remettre les entreprises au cœur de la politique de l’emploi.

Avant les élections, il y a souvent beaucoup d’audace dans les programmes, nettement moins après. Vous avez vous-même expérimenté les difficultés de la réforme en 1995… Comment les dépasser ?

Avec ma méthode des 100 jours qui… précèdent l’élection, au cours desquels doit s’ouvrir un grand débat public. Il ira plus loin, je l’espère, que la question de savoir si Jeanne d’Arc est une référence pour tous les Français ou non ! L’objectif est de dire la vérité, ce qui a été rarement le cas lors des campagnes antérieures. Pour ma part, je veux convaincre les Français notamment que l’ISF est nocif pour l’emploi ; que ce n’est pas en taxant les CDD et en rigidifiant le Code du travail que l’on facilite les embauches ; et enfin que le décalage de l’âge légal de la retraite à 65 ans ne pénalisera ni l’emploi des seniors ni celui des jeunes. Il faudra, je le sais, un effort de pédagogie très grand.


Cela, c’est avant l’élection. Et après ?


Nous nous donnerons six mois pour mettre en œuvre la dizaine d’ordonnances que nous sommes déjà en train de préparer. Nous gouvernerons aussi avec des ministres stables - entre 10 et 15, pas plus - qui seront les patrons de leur administration et pas de gentils organisateurs de sorties dominicales. Ils devront, sur le modèle anglais, rendre compte régulièrement.


Sur les comptes publics :


Quelles mesures devraient être mises en œuvre rapidement ? La situation des comptes publics ne permet pas de tout faire.

Il faudra engager la baisse des charges des entreprises, réorienter l’épargne des Français vers l’investissement productif et lever les obstacles à l’embauche. La priorité absolue, c’est l’emploi. Ainsi, j’assume des baisses de prélèvements ciblées en majeure partie sur les entreprises. Le crédit d’impôt compétitivité emploi devra être transformé dès 2018 en une baisse de charges pérenne, permettant d’annuler toutes les charges patronales au niveau du SMIC, soit 11 points de moins que dans la situation actuelle. Et j’engagerai très vite la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, pour revenir à 30% d’ici à 2022. On ne va pas rester à 38% quand la moyenne européenne se situe à 22% !


Vous envisagez également une hausse de 1 point de la TVA pour alléger les cotisations sociales au titre de la branche famille et le coût du travail de toutes les entreprises…


Oui, et j’assume la priorité au combat pour l’emploi. Je ne fais pas une politique pour faire des cadeaux à telle ou telle clientèle électorale. La suppression d’une partie des cotisations famille des entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros allégera le coût du travail pour tous les salaires. C’est une première étape, et nous verrons si nous pouvons aller plus loin dans un deuxième temps.


Quelles dispositions seront prises immédiatement, au-delà du coût du travail, pour l’emploi ?


Il faut des « déclics » de confiance immédiats pour lever les freins à l’embauche : je propose un CDI sécurisé avec des motifs de licenciement prédéfinis dans le contrat de travail, le plafonnement des indemnités prud’homales, le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur et la sortie, pour de bon, des 35 heures. La durée légale passera à 39 heures au bout de deux ans sauf pour les entreprises qui, par accord, souhaiteront rester à un niveau inférieur. Les salariés qui feront plus d’heures gagneront plus.


La loi El Khomri, plus timide, est très contestée. Comment faire accepter votre réforme du travail, qui prévoit aussi un encadrement strict des mandats syndicaux ? Vous avez théorisé la doctrine de la goutte d’eau, ne craignez-vous pas de faire déborder le vase ?


Avant d’évoquer la goutte d’eau, commençons par remplir le vase ! L’impopularité de la loi El Khomri ne vient pas tant des mesures qu’elle contient, bien trop modestes, que du fait que les électeurs de François Hollande se sentent trahis parce qu’ils l’avaient élu pour faire autre chose. Moi, je dis avant ce que je ferai après, et si je suis élu, j’aurai mandat pour le faire. Les Français savent bien qu’il faut bouger pour éviter le décrochage du pays.


Sur les retraites :


Vous prévoyez 85 milliards d’euros d’économies dans les dépenses publiques. La disposition la plus forte concerne le relèvement à 65 ans de l’âge de la retraite. N’est-ce pas repasser le mistigri à l’assurance-chômage ?

Je m’inscris en faux contre toute idée de corrélation entre l’âge de départ en retraite et le taux de chômage. Les pays où l’âge de départ à la retraite est élevé ne sont pas les pays où le chômage, y compris celui des seniors, est élevé. C’est le dynamisme de l’économie qui compte. C’est un faux argument.


A quel rythme relèveriez-vous l’âge de la retraite ?


Il y aura un projet de loi au cours de l’été 2017. Concrètement, l’âge serait remonté de quatre mois par an à partir de début 2018. C’est la génération née en 1964 qui serait la première à partir à 65 ans. Il en résultera 20 milliards d’euros d’économies dès 2022 et 30 milliards une fois la réforme achevée.


Sur la fonction publique :


Quelles seraient les autres économies ?

Elles seraient réparties entre l’Etat, la sécurité sociale et les collectivités locales au prorata de leur poids dans les dépenses. Mais c’est sur la masse salariale qu’il conviendra d’agir en priorité parce que c’est le plus efficace. Mon objectif sera une diminution de 250.000 à 300.000 du nombre de fonctionnaires.


C’est plus ambitieux que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite du quinquennat de Nicolas Sarkozy…

Cela nous ramènerait au nombre de fonctionnaires que la France avait au début des années 2000. A cette époque, la France n’était pas, je crois, sous-administrée. Hormis les personnels de l’Education, de la Police, de la Justice et de la Défense, tous les ministères seraient concernés. L’augmentation du temps de travail dans les fonctions publiques, permettra de compenser la baisse des effectifs. La dématérialisation généralisée des procédures permettra également de redéployer des effectifs.


Qu’en est-il des économies dans les collectivités locales ?


Je ne veux pas bouleverser à nouveau l’organisation territoriale : tous les élus demandent de la stabilité. Il faudra néanmoins simplifier des mille-feuilles incroyables, par exemple en Ile-de-France. Du point de vue financier, l’Etat maintiendra les dotations pour les collectivités qui réaliseront des économies et réduira celles des collectivités qui ne feront pas cet effort...


Sur la protection sociale :


Les dépenses les plus importantes concernent la protection sociale...

Si les partenaires sociaux ne réalisent pas les économies nécessaires et ne luttent pas davantage contre les abus en matière d’assurance-chômage, l’Etat prendra ses responsabilités, notamment en rétablissant la dégressivité des allocations-chômage. Quant à la santé, je publierai bientôt un cahier spécial sur mes propositions, qui mettra notamment en avant le développement des soins ambulatoires, générateurs d’importantes économies. Enfin, je veux réformer l’Aide médicale d’Etat des étrangers sans papier, l’AME, qui nous coûte aujourd’hui 800 millions d’euros. Il est normal de soigner un accidenté ou en urgence, pas tous ceux qui viennent en France uniquement parce que c’est gratuit. Il faut lutter contre ces abus.




En matière économique, sur quoi vont se jouer à votre avis la primaire de la droite du mois de novembre puis la présidentielle ?

Elles se joueront à mon sens sur l’équilibre du projet, entre son audace et son réalisme. Il faut de l’audace et mes propositions n’en manquent pas. Elles signifient un changement profond de notre modèle. En même temps, je ne veux pas « casser la baraque », cela n’a pas de sens. Je vois que certains de mes concurrents n’hésitent pas à aller très loin dans cette direction, mais les Français n’attendent pas cela.


Vous pensez aux allègements d’impôts et de charges ?


Certains sont irréalistes ! D’un côté, j’entends parler de 50 milliards de baisse de charges. Comment peut-on « boucler » financièrement de telles promesses ? J’entends aussi parler de relever de 32 milliards sur cinq ans le budget de la Défense. Je suis prêt à faire l’effort nécessaire car c’est un domaine absolument prioritaire, mais on ne peut pas tout promettre. Gouverner c’est choisir.

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1 commentaire:

  1. Difficile d'envisager la place que trouveront les GE dans un programme aussi libéral...

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