Extrait de l'Express Entreprise 28/09/2015
Depuis six mois environ, le rythme des signatures de CDII, contrat mixant stabilité pour les intérimaires et flexibilité pour les entreprises, s'accélère. Même si on est encore loin des objectifs du gouvernement.
Cela faisait cinq ans qu'Emmanuelle Diallo enchaînait les missions dans l'intérim. La jeune assistante se sent "stabilisée" depuis qu'elle a signé un CDI intérimaire, un nouveau contrat qui décolle mais se limite aux travailleurs temporaires les plus convoités. Inspiré d'expériences aux Pays-Bas et en Allemagne, ce contrat aux termes pour le moins antinomiques est entré en vigueur en mars 2014. Le principe: le salarié exécute des missions chez les entreprises clientes et, lorsqu'il n'a pas de mission, il touche une garantie minimale mensuelle égale au Smic, payée par l'agence - qui a intérêt à ce que les périodes "d'intermission" soient le plus courtes possible. La durée totale des missions dans la même entreprise utilisatrice a été portée à 36 mois maximum - au lieu de 18 mois initialement.
Pour l'heure, environ 3.000 contrats "CDII" ont été signés, avec une "nette accélération depuis mai", indique François Roux, délégué général de Prism'Emploi, l'organisme patronal. Le patronat s'était fixé un objectif de 20.000 signatures d'ici à 2017 - soit près de 4% des 549.000 intérimaires. On en est loin mais les agences y croient. "La croissance est exponentielle", affirme Jean-François Denoy, directeur-général de Manpower.
PSA Peugeot Citroën et Manpower ont annoncé début septembre un accord pour l'embauche de 300 opérateurs. "Cela leur permet de faire des tests à grande échelle pour développer le recours abusif au travail temporaire, donc à l'emploi précaire", s'inquiète Philippe Tixier, de la CGT de l'intérim, non signataire de l'accord sur le CDII conclu en 2013 dans le secteur. "Les entreprises ont besoin de flexibilité dans un marché tendu et le CDII permet de concilier cette exigence avec une responsabilité sociale", fait valoir à l'opposé le patron de Manpower, pour qui ce contrat "a vocation à se substituer au CDD". La porte-parole de Randstad, à l'origine de l'idée, renchérit: "C'est l'instrument par excellence de la 'flexisécurité' à la française que tout le monde appelle de ses voeux. C'est un intermédiaire entre le 'dehors' et le 'dedans'".
Stabilité financière... mais baisse de revenus
Présenté comme "gagnant-gagnant", le "CDII" essuie néanmoins de nombreux refus de la part des intérimaires eux-mêmes. "Pour 1.000 contrats signés, on en a proposé 2.000", indique Randstad. "Le mot est antinomique: il y a un travail pédagogique à faire", concède le troisième groupe de travail temporaire en France. Le CDI n'est en effet pas dans la culture de certaines personnes adeptes de l'intérim, dont les plus recherchées (couvreurs, électriciens...) craignent de "perdre leur liberté", affirme David Deloye, de FO (non signataire). Mais, surtout, le CDI semble moins avantageux financièrement: il fait perdre les 10% d'indemnités de fin de mission et la rémunération des intermissions est lissée au niveau du Smic. "Il y a déjà eu des démissions", assure le syndicaliste qui fustige une "précarisation des revenus". "C'est vrai qu'économiquement on y perd un peu, mais j'ai trouvé une stabilité financière", témoigne Emmanuelle Diallo, en mission à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine à Paris. Son CDI lui a donné un accès facilité au logement et au crédit. Autre avantage: les salariés "peuvent enfin oser soulever un litige", quand l'intérim classique "fonctionne comme une muselière sociale", pointe Véronique Revillod, de la CFDT Manpower (signataire).
Mais le CDII ne cible de toute façon qu'une minorité: pour que le contrat soit rentable, le professionnel doit être "hyper employable". Ce sont pour beaucoup des ouvriers et employés de l'industrie (50%), du BTP (15%) et des services (20%), détaille Manpower. Les métiers dits "pénuriques" représentent 25% environ. FO prédit que le modèle économique ne "tiendra pas la route" puisque les profils visés "n'ont de toute façon aucun mal à travailler". "Comme ceux-là refusent, on se tourne vers ceux qui travaillent moins, en basse qualification, l'agence doit payer davantage d'intermissions... et elle y perd", affirme David Deloye. Au contraire, rétorque Manpower: pour les fidéliser, l'agence doit justement "développer les compétences" de ses CDI, en particulier via la formation professionnelle.
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