jeudi 9 juin 2016

Mise à disposition de personnel : Le grand bon du low cost

 Publié le 26 avril 2016 par letelegramme.fr



Ils étaient 715 en 2005 et 5.988 dix ans plus tard. 
Pourquoi le nombre de travailleurs étrangers détachés déclarés a-t-il explosé en Bretagne, comme dans le reste du pays ? Parfaitement légal, ce système a cependant attiré de nombreux fraudeurs qui cassent encore plus les prix et les marchés. Et broient les salariés.
À ma droite, Igor, soudeur bulgare, 15 ans d'expérience. Salaire mensuel brut minimum dans son pays en 2016 : 214 euros. Pour lui, la France, avec un Smic sept fois plus élevé, c'est l'eldorado. Et pour l'employeur français qui voudra bien le recruter, en tant que travailleur détaché, pour une mission temporaire, via son employeur bulgare, c'est aussi inespéré : un salaire minimum pour 15 ans d'expérience, avec des charges sociales à régler en Bulgarie... deux fois moins importantes qu'en France. Face à Igor, Emmanuel, né à Lorient. Avec 15 ans d'expérience également, lui « coûte » plus cher qu'un Smic. Et avec toutes les charges sociales à régler en France. Plein pot. Question : qui l'employeur va-t-il choisir ? La réponse pourrait expliquer pourquoi le recours aux travailleurs détachés étrangers a été multiplié par 14 en France entre 2004 et 2014. La réalité est en fait beaucoup plus nuancée.

 « Équipe sérieuse, motivée et flexible »

Car, si la loi est respectée, avec les exonérations de charges et crédits d'impôts désormais accordés en France pour l'emploi, « l'avantage économique (du travailleur étranger détaché) est faible (frais de transports, nourriture et logement à la charge de l'employeur étranger mais dont le prix est répercuté à l'employeur français) », relevait, dans un avis publié en septembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

« Cela me revient peut-être même un tout petit peu plus cher », assure Damien Le Nan, maraîcher du nord-Finistère qui emploie tout à fait légalement, sept semaines par an, 15 salariés roumains pour planter et ramasser des échalotes sur 25 hectares. Lui utilise cette main d'oeuvre depuis trois ans et ne reviendrait en arrière « pour rien au monde ». « J'avais de plus en plus de difficultés à trouver des travailleurs, et des travailleurs sérieux, plaide cet agriculteur, âgé de 32 ans. Aujourd'hui, je dispose d'une équipe sur laquelle je peux compter, motivée, flexible, et j'ai beaucoup moins de paperasse à faire. C'est l'agence d'intérim roumaine qui s'en charge. »

 « Partout où l'on trouve les prix les plus bas »

S'il évoque également un manque de main d'oeuvre locale, Robert Magueur, directeur-général adjoint du chantier naval Damen Repairship, de Brest, l'admet aussi : « Il faut être honnête, la main d'oeuvre étrangère nous coûte aussi moins cher. Nous faisons appel à des salariés lituaniens, polonais, turcs... Partout où l'on trouve les prix les plus bas, même si tous sont payés au salaire minimum légal français, avec les mêmes avantages qu'un salarié français. » C'est la loi. « C'est notre seul moyen de rester compétitifs. Nous n'avons pas le choix. La main d'oeuvre française de base coûte trop cher. Tout le monde aujourd'hui travaille avec de la sous-traitance. »

« Les chantiers navals ont été sauvés à Brest, mais à quel prix et avec quelles règles ?, interroge le responsable CGT marins du grand Ouest, l'infatigable Jean-Paul Hellequin. Damen est largement subventionnée par les collectivités locales, ils doivent donc privilégier les emplois locaux ! »

« L'ennemi, c'est le tricheur »


« L'ennemi, ce n'est pas l'étranger, c'est le tricheur ! », rappelle le député PS finistérien, Richard Ferrand, qui, comme sa collègue députée finistérienne Chantal Guittet, a rendu un rapport parlementaire sur cette question et a âprement contribué à durcir la législation française sur le travail détaché.
Le recours à la main d'oeuvre étrangère détachée est parfaitement légal. Mais combien d'entreprises respectent les règles du jeu ? « Depuis deux ans, je n'ai jamais vu un détachement déclaré qui se déroulait dans les règles, témoigne un enquêteur spécialisé qui souhaite rester anonyme. Cela va du simple oubli à la fraude caractérisée. » Dans la quasi-totalité des cas, soit les heures supplémentaires sont mal/pas payées, soit les salariés sont mal/pas logés, ou leurs frais de nourriture et de transport pas pris en charge ou leur sont déduits de leur paie.

Les exemples en Bretagne ne manquent pas: ici, 16 salariés roumains, dans l'agroalimentaire, payés 459 euros de moins que les salariés français. Là, une entreprise polonaise dont les salariés travaillaient six jours sur sept, parfois jusqu'à 77 heures par semaine. Et les méchants intermédiaires ne sont pas toujours étrangers. Combien y a-t-il d'autres travailleurs détachés étrangers « low-cost » illégaux en France ? En avril 2013, un rapport d'information du Sénat estimait leur nombre entre 220.000 et 300.000.

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