Publié le 26 avril 2016 par letelegramme.fr
Ils étaient 715 en 2005 et 5.988 dix ans plus
tard.
Pourquoi le nombre de travailleurs étrangers détachés déclarés a-t-il
explosé en Bretagne, comme dans le reste du pays ? Parfaitement légal, ce
système a cependant attiré de nombreux fraudeurs qui cassent encore plus les
prix et les marchés. Et broient les salariés.
À ma droite, Igor, soudeur bulgare, 15 ans d'expérience. Salaire mensuel
brut minimum dans son pays en 2016 : 214 euros. Pour lui, la France, avec un
Smic sept fois plus élevé, c'est l'eldorado. Et pour l'employeur français qui
voudra bien le recruter, en tant que travailleur détaché, pour une mission
temporaire, via son employeur bulgare, c'est aussi inespéré : un salaire
minimum pour 15 ans d'expérience, avec des charges sociales à régler en
Bulgarie... deux fois moins importantes qu'en France. Face à Igor, Emmanuel, né
à Lorient. Avec 15 ans d'expérience également, lui « coûte » plus cher qu'un
Smic. Et avec toutes les charges sociales à régler en France. Plein pot. Question
: qui l'employeur va-t-il choisir ? La réponse pourrait expliquer pourquoi le
recours aux travailleurs détachés étrangers a été multiplié par 14 en France
entre 2004 et 2014. La réalité est en fait beaucoup plus nuancée.
«
Équipe sérieuse, motivée et flexible »
Car, si la loi est respectée, avec les exonérations de charges et crédits
d'impôts désormais accordés en France pour l'emploi, « l'avantage économique
(du travailleur étranger détaché) est faible (frais de transports, nourriture
et logement à la charge de l'employeur étranger mais dont le prix est répercuté
à l'employeur français) », relevait, dans un avis publié en septembre dernier,
le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
« Cela me revient peut-être même un tout petit peu plus cher », assure
Damien Le Nan, maraîcher du nord-Finistère qui emploie tout à fait légalement,
sept semaines par an, 15 salariés roumains pour planter et ramasser des
échalotes sur 25 hectares. Lui utilise cette main d'oeuvre depuis trois ans et
ne reviendrait en arrière « pour rien au monde ». « J'avais de plus en plus de
difficultés à trouver des travailleurs, et des travailleurs sérieux, plaide cet
agriculteur, âgé de 32 ans. Aujourd'hui, je dispose d'une équipe sur laquelle
je peux compter, motivée, flexible, et j'ai beaucoup moins de paperasse à
faire. C'est l'agence d'intérim roumaine qui s'en charge. »
«
Partout où l'on trouve les prix les plus bas »
S'il évoque également un manque de main d'oeuvre locale, Robert Magueur,
directeur-général adjoint du chantier naval Damen Repairship, de Brest, l'admet
aussi : « Il faut être honnête, la main d'oeuvre étrangère nous coûte aussi
moins cher. Nous faisons appel à des salariés lituaniens, polonais, turcs...
Partout où l'on trouve les prix les plus bas, même si tous sont payés au
salaire minimum légal français, avec les mêmes avantages qu'un salarié
français. » C'est la loi. « C'est notre seul moyen de rester compétitifs. Nous
n'avons pas le choix. La main d'oeuvre française de base coûte trop cher. Tout
le monde aujourd'hui travaille avec de la sous-traitance. »
« Les chantiers navals ont été sauvés à Brest, mais à quel prix et avec
quelles règles ?, interroge le responsable CGT marins du grand Ouest,
l'infatigable Jean-Paul Hellequin. Damen est largement subventionnée par les
collectivités locales, ils doivent donc privilégier les emplois locaux ! »
« L'ennemi, c'est le tricheur »
« L'ennemi, ce n'est pas l'étranger, c'est le tricheur ! », rappelle le
député PS finistérien, Richard Ferrand, qui, comme sa collègue députée
finistérienne Chantal Guittet, a rendu un rapport parlementaire sur cette
question et a âprement contribué à durcir la législation française sur le
travail détaché.
Le recours à la main d'oeuvre étrangère détachée est parfaitement légal.
Mais combien d'entreprises respectent les règles du jeu ? « Depuis deux ans, je
n'ai jamais vu un détachement déclaré qui se déroulait dans les règles,
témoigne un enquêteur spécialisé qui souhaite rester anonyme. Cela va du simple
oubli à la fraude caractérisée. » Dans la quasi-totalité des cas, soit les
heures supplémentaires sont mal/pas payées, soit les salariés sont mal/pas
logés, ou leurs frais de nourriture et de transport pas pris en charge ou leur
sont déduits de leur paie.
Les exemples en Bretagne ne manquent pas: ici,
16 salariés roumains, dans l'agroalimentaire, payés 459 euros de moins que les
salariés français. Là, une entreprise polonaise dont les salariés travaillaient
six jours sur sept, parfois jusqu'à 77 heures par semaine. Et les méchants
intermédiaires ne sont pas toujours étrangers. Combien y a-t-il d'autres
travailleurs détachés étrangers « low-cost » illégaux en France ? En avril
2013, un rapport d'information du Sénat estimait leur nombre entre 220.000 et
300.000.
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