Collecte Capdevielle, députée de la 5ème circonscription des Pyrénées Atlantiques, avocate de profession, nous livre son analyse détaillée et son avis (parfois critique). Très instructif !
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“Donner du temps au temps”.
En France, pour réformer, pour changer notre droit, notre droit social, il faut du temps : le temps de réfléchir, de s’écouter, d’analyser, de se respecter.
Depuis le début du mandat, j’ai beaucoup travaillé sur les questions de droit pénal et de procédure.
Nous venons encore de réussir l’examen de deux textes majeurs, tout simplement parce que nous avons pris le temps.
Christiane Taubira, dès qu’elle a été nommée ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a immédiatement mis en place une Conférence de consensus, immense et ambitieux chantier, associant tous les acteurs de la justice, afin de les faire travailler ensemble et dégager les grandes pistes de réformes.
Soyons honnêtes, c’est bien grâce à ce travail préliminaire que nous avons fait accepter la contrainte pénale, la suppression des peines plancher, l’individualisation des peines, le renforcement des pouvoirs du juge des libertés et de la détention, la réforme du statut du parquet, que nous allons supprimer les tribunaux correctionnel pour mineurs et réformer le statut du Conseil supérieur de la magistrature.
On ne réforme pas le droit social sans ce chantier de mise au point entre les partenaires sociaux, de réflexions, de consultations, de propositions, préalables indispensables à toute réforme acceptée et donc réussie.
Cela n’a pas été fait et je le regrette amèrement.
Il n’est pas possible de réformer en profondeur le code du travail un an avant la fin du mandat, sans avoir réalisé préalablement une conférence nationale de consensus.
Dès lors ce qui est arrivé était écrit : fuites dans la presse du texte de l’avant projet, rumeurs d’un hypothétique recours à l’article 49–3 de la Constitution, consultation tardive des partenaires sociaux, compte Twitter infantilisant se voulant répondre à une exceptionnelle pétition en ligne réussie, jeunes, syndicalistes et travailleurs descendant dans la rue…
Quel dommage ! Dommage car le texte contient à la fois des avancées très intéressantes et novatrices et des reculs inacceptables qui occultent et obèrent complètement les mesures sociales-démocrate du projet initial.
J’ai pris le soin ces jours derniers d’éplucher le texte en détail. Je vous propose de lire ci-après l’exposé des motifs et l’intégralité de l’avant projet en cliquant : ICI
Avancées de ce texte et ses apports concrets.
Examinons les avancées de ce texte et ses apports concrets.
Certaines dispositions sont totalement inconnues et novatrices.
L’article 1er fixe les principes essentiels du droit du travail, les droits et libertés, tels qu’écrits par Robert Badinter.
Ils figureront en préambule du Code du travail.
Le projet de loi prévoit la création d’une commission de refondation du Code du travail dont l’objectif sera, dans le délai de 2 ans, de réécrire le futur Code sur la base des principes essentiels dégagés par le comité présidé par Robert Badinter.
Le Code du travail aura ainsi une nouvelle architecture en 3 parties :
- La fixation des règles d’ordre public
- La négociation collective
- Les règles supplétives en l’absence d’accord collectif
Étrangement, car cela n’est pas cohérent, le projet de loi met déjà en place cette nouvelle architecture et seulement pour la partie relative au temps de travail et aux congés.
L’avant projet de loi crée le CPA (Compte Personnel d’Activité) dont le “but est de donner à chaque travailleur la capacité de construire son parcours professionnel”.
Cette mesure ne concerne pas que les salariés, mais tous les actifs (ce qui explique le titre du projet de loi), y compris les agents publics, les travailleurs indépendants, les personnes privées d’emploi.
Le but consiste à donner à chaque travailleur la capacité de construire son parcours professionnel dans un monde du travail en constante évolution.
Ce CPA devrait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2017.
Le texte clarifie les règles au sujet du droit à congés (article 4) et il étend ce droit, créé le congé de solidarité familiale, de proche aidant, pour engagement associatif, politique ou militant, le congé mutualiste de formation, de participation aux instances d’emploi et de formation professionnelle ou à un jury d’examen, le congé pour catastrophe naturelle, de formation de cadres et d’animateurs pour la jeunesse, de représentation, de solidarité internationale, pour acquisition de la nationalité , le congé pour période de travail à temps partiel pour la création ou la reprise d’entreprise, le congé sabbatique.
L’article 5 crée le compte épargne temps lequel permet au salarié d’accumuler des droits à congé rémunéré.
L’avant projet de loi prévoit aussi une augmentation importante de 20% des heures de délégation pour tous les délégués syndicaux et ce afin de faciliter leur mandat et leur formation syndicale.
L’article 16 sécurise le cadre juridique de mise à disposition des locaux syndicaux, notamment par les collectivités territoriales et ce afin d’éviter l’arbitraire et ce avec des mesures protectrices et une indemnisation en cas de non respect.
Le texte prévoit aussi la dématérialisation des bulletins de salaire (sauf si le salarié y est opposé). Notre pays est très en retard à ce sujet –15 % seulement de bulletins de salaire dématérialisés – contre 95 % en Allemagne et 73 % en Grande-Bretagne.
Le texte crée aussi de nouveaux droits, le droit à la déconnexion informatique, c’est à dire le droit à un repos, et il fixe de nouvelles règles protectrices pour les salariés, de plus en plus nombreux, qui pratiquent le télé-travail.
En matière de difficultés économiques, l’avant projet prévoit que désormais un accord de branche pourra définir la durée de la baisse des commandes ou du chiffre d’affaire et la durée des pertes d’exploitation venant caractériser ces difficultés. À défaut d’accord, les critères seront fixés par le Code du travail.
Il s’agit là d’une garantie pour les salariés, afin d’éviter des critères flous et imprécis.
En matière d’apprentissage, désormais les apprentis se verront délivrer une attestation de compétences en cas de rupture et ce pour valoriser leur parcours.
Les conditions d’éligibilité au contrat de professionnalisation vont être élargies à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2017 .
L’avant projet prévoit également une très importante réforme de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience). L’accès va être facilité par de nouvelles mesures visant à la développer. La durée d’expérience est réduite de 3 ans à 1 an, toutes les périodes de formation seront prises en compte, tous les contrats qu’il s’agisse de CDD ou CDI ou interim et la procédure va être considérablement raccourcie et simplifiée.
S’agissant des contrats de travail saisonniers, désormais l’ancienneté sera prise en compte dans les droits des salariés.
L’article 40 prévoit tout un ensemble de dispositions facilitant les groupements d’employeurs.
La médecine du travail va être modernisée, avec un ciblage des moyens pour les salariés exposés à des risques particuliers.
Le nouveau texte renforce le suivi des salariés tout au long de leur carrière, étendant ce droit aux intérimaires et titulaires de contrats courts.
En cas d’inaptitude les voies de recours sont clarifiées.
Enfin le texte prévoit un ensemble de dispositions visant à lutter contre le détachement illégal de salariés, créant des obligations pour les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre lorsqu’ils ont recours à des prestataires établis à l’étranger, avec création d’une compensation.
Des dispositions portent atteinte aux droits sociaux fondamentaux
Mais plusieurs dispositions de l’avant-projet portent atteinte aux droits sociaux fondamentaux et, en l’état, ne sont pas acceptables.
Il s’agit tout d’abord des dispositionscontenues à l’article 30 et qui concernent le barème contraignant des indemnités prononcées par le Conseil des Prud’hommes en cas de licenciement dépourvu de cause réelle réelle et sérieuse et de licenciement économique.
Il ne faut pas confondre avec l’indemnité de licenciement qui est fixée par les conventions collectives et le code du travail.
Il s’agit bien de dommages et intérêts, destinés à réparer le préjudice subi par le salarié du fait du caractère abusif de son licenciement.
Ce préjudice étant réel, direct et personnel un barème déterminé et contraignant n’est pas acceptable.
En effet la situation de chaque salarié est différente, elle tient compte de l’ancienneté, du salaire, de la situation personnelle, des efforts accomplis pour s’adapter à l’emploi, des diplômes, des efforts pour se former…
Si l’idée d’un barème indicatif est un progrès pour éviter les disparités territoriales qui sont une réalité, il faut laisser au juge une totale liberté d’appréciation.
Ces barèmes indicatifs existent déjà en droit de la famille pour les pensions alimentaires, en droit de la responsabilité pour indemniser les dommages (IPP, ITT , precium doloris…). Il ne serait pas inutile de les étendre aux licenciements abusifs et seulement dans le cas d’absence de cause réelle et sérieuse.
S’agissant du licenciement économique, l’article 30 bis pose une nouvelle définition du licenciement en cas de cessation d’activité de l’entreprise et réorganisation en vue de sa sauvegarde et sa compétitivité.
Il prévoit que désormais le périmètre d’appréciation du motif économique se fera au niveau de l’entreprise et non du groupe !
Il s’agit là d’un recul considérable sur les textes actuels et une jurisprudence établie depuis des décennies.
Rien n’est plus facile pour un grand groupe que de placer artificiellement l’une de ses filiales en difficulté…
Cette disposition doit être retirée du texte !
Comment accepter également les dispositions visant à fixer une nouvelle durée de travail maximale pour les apprentis, soit 10 heures par jour et 40 heures par semaine.
Rappelons que, le plus souvent, les apprentis sont mineurs et que du fait de leur statut ils doivent suivre également des cours théoriques.
Il n’est pas question qu’ils soient la variable d’ajustement pour l’entreprise et qu’ils remplacent des salariés.
Ce n’est pas avec de telles mesures que nous favoriserons l’apprentissage qu’il convient au contraire de développer et de protéger.
Si l‘accord collectif négocié doit être la règle pour régir les relations du travail, ce n’est qu’au niveau de la branche que cet accord doit être réalisé et non au niveau de l’entreprise comme prévu dans l’avant-projet.
Compte tenu du très faible taux de syndicalisation, qui reste un problème en France, particulièrement dans les TPE et les PME , il convient de protéger les salariés de tout accord d’entreprise et ce tant que les salariés ne seront pas protégés par une représentation syndicale forte.
Dans le même esprit, le texte prévoit que les accords peuvent être conclus pour une durée indéterminée. Cette disposition doit être retirée du texte, le droit du travail étant par nature un droit évolutif.
Enfin l’article 29 prévoit « qu’un accord de branche étendu peut contenir, le cas échéant sous forme d’accord type indiquant les différents choix laissés à l’employeur, des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés. L’employeur peut appliquer cet accord type à travers un document unilatéral indiquant les stipulations qu’il a retenues. »
Il s’agit là d’une rupture d’égalité entre salariés, défavorable aux salariés des PME.
Les règles d’adaptation ne peuvent pas être décidées unilatéralement, ce qui est contraire à l’esprit du Code du travail tel que dessiné par Robert Badinter.
Telles sont à mon avis les dispositions du texte qui doivent être soit retirées, soit totalement réaménagées.
C’est l’enjeu des jours à venir et je resterai attentive aux mobilisations et aux négociations.
Dès ce début de semaine, je recevrai toutes les organisations syndicales locales, pour débattre, voir ensemble quelles dispositions sont encore négociables, celles qui doivent être retirées du texte.
Je suis prête à engager, comme je l’ai déjà fait sur nombre de textes, une bataille parlementaire.
Notre groupe SRC est déjà au travail depuis la semaine dernière et le Président de la République est très attentif aux préconisations parlementaires.
Plus que jamais je souhaite que les arbitrages tiennent compte des préoccupations légitimes de nos compatriotes.
Je ne suis pas intimement convaincue que ce texte, tel qu’il est rédigé, créera de l’emploi de manière directe ; par contre je pense qu’il peut considérablement réduire la précarité de trop nombreux salariés qui n’ont d’autre perspective que le CDD ou l’intérim.
Faisons confiance à l’intelligence collective.